Conférence à la mémoire d'Alexandre Dumas - 16/03/14
Par Mérès Weche
Mesdames, Messieurs,
Mes propos ce soir, sur le général Alexandre Dumas, vont se concentrer surtout sur son origine, de manière à tirer des cendres de l’oubli, sa mère, l’esclave Noire de la colonie de Saint-Domingue, Marie Césette Dumas. Ses exploits comme guerrier aux côtés de Napoléon Bonaparte sont suffisamment élaborés par des auteurs de renommée internationale depuis environ trois siècles.
Je me donnerai donc pour objectif de vous entretenir, mesdames, messieurs, sur les souches familiales maternelles du général Dumas.
L’histoire connue des Dumas est construite à travers le temps comme un système de superstructures sans infrastructures, c’est-à-dire un échafaudage sans base réelle.
Ce qu’il importe de retenir, Mesdames, Messieurs, c’est qu’avant la colonie de Saint-Domingue, le patronyme « Dumas » n’existait nulle part, pour la simple et bonne raison qu’il dériverait du vocable africain « mas » appartenant à la culture « Fon » du Dan Homey – devenu plus tard Dahomey- , terme ( je veux dire le « mas », signifiant : « ferme isolée » ; un terme qui deviendra provençal, prenant le sens de : maison de campagne.
En effet, selon deux spécialistes haïtiens des cultures négro-africaines, je veux citer l’ethnologue Jean Coulanges et feu l’adepte du vodou, Dany Danache de Lakou Soukri, que j’avais interviewé à la Télévision Nationale, les recherches qu’ils ont effectuées dans plusieurs contrées du Continent noir leur permettent d’établir une différence entre la langue « Kwa » que parle le peuple « Fon » du Sud du Bénin (anciennement Dan Homey ou Dahomey), et la langue « bantoue» du Gabon, parlée par le peuple « Fang ».
Ils ont longuement élaboré sur deux termes issus respectivement de ces deux langues : le terme « mas » de la langue « Fon » signifiant « ferme isolée », et le terme « Dûma » signifiant « dignité » en langue bantoue.
La plupart des auteurs qui ont écrit sur les Dumas, je peux citer : Calixthe Beyala du Cameroun, dont le livre « Les honneurs perdus» a reçu le Prix de l’Académie Française, en 1999; Claude Ribbe, d’origine martiniquaise, qui mène une lutte acharnée en France, pour que le général Dumas rentre au Panthéon national français; Catherine Delors et Tom Reiss, d’origine américaine, sans oublier Ernst d’Auterive de la France, pour ne citer que ceux-là, tous ou presque tous donnent aux Dumas des origines africaines différentes. Pour Calixthe Beyala, par exemple, Césette Dumas, la mère du général et la grand’mère des deux écrivains, Dumas-père et Dumas-fils, serait du Gabon. Ce qui donnerait au nom Dumas toute une autre origine.
L’histoire en général retient que les personnes capturées en Afrique, pour être vendues comme esclaves, dans le commerce triangulaire, étaient considérées comme des « sans-nom », sans ethnie précisée. Les trois sœurs, Césette, Rosette et Élizabeth, qui eurent très certainement d’autres noms d’ethnie, furent appelées les filles du « mas », c’est-à-dire de la ferme isolée. Il faut dire qu’elles ont été tout de même chanceuses de n’avoir pas été séparées les unes des autres, car elles auraient pu être dispersées, sans jamais se revoir; il ne fallait pas que les esclaves soient ensemble à parler une même langue.
Le premier maitre de Césette avait pour nom, M. de Maubielle, de qui elle aurait sa première fille Marie-Rose, bien qu’on dise aussi qu’elle l’eut d’un esclave noir. Achetée par le colon Antoine Davy de la Pailleterie, celui-ci lui donnera trois autres enfants : Thomas Alexandre, le futur général Dumas, puis Adelphe et Jeannette. Sa plus jeune sœur, Elizabeth, épousera Jean Valentin Vatey, venu de Jumièges en Normandie, et donnera naissance à Pompée Valentin Vatey, auteur de plusieurs ouvrages, dont son Essai sur les causes de la Révolution et des guerres civiles d’Haiti. Sa sœur cadette, Rosette sera conquise par François Brière, originaire de Saint-André de Clarbec, dans la région de Basse-Normandie. C’est lui l’aïeul du poète Jean Brierre, fils de Fernand Brierre et d’Henriette Desrouillères.
Après l’affirmation de l’origine dahoméenne des trois filles Dumas, par le professeur Jean Coulanges et l’adepte du vodou, Dany Danache, mentionnés précédemment, leur origine dahoméenne sera confirmée par deux autres sources : il s’agit d’une part de l’éditeur haïtien de renom, M. Dieudonné Fardin qui, dans la réédition de « Province », en 2009, l’unique roman du poète Jean Brierre, paru en 1935, a écrit ce qui suit : « Jean Brierre descend d’un colon français, François Brière, qui avait acheté aux enchères à Saint-Domingue, une négresse dahoméenne prénommée Rosette, sœur cadette de Marie Césette Dumas qui donna le jour à Alexandre Davy de la Pailleterie (dit général Dumas), né à Saint-Domingue, aujourd’hui Haiti, en 1764 ».
L’autre confirmation est donnée par Maud Brierre, vivant actuellement à Laboule, commune de Pétion-Ville, Haiti. Elle m’a personnellement dit ceci : « Je suis une descendante de Rosette Dumas ». Quelques années auparavant, elle en avait fait l’aveu à Las Palmas, Gran Canaria, au cours d’une conversation avec une personnalité publique répondant au nom d’Henri Marcel. Elle avait fait allusion aux deux autres sœurs de son aïeule, en l’occurrence, Marie Césette et Élizabeth.
Le poète Jean Brierre, quant à lui, n’avait jamais cessé de dire qu’il est le petit cousin germain de Pompée Valentin Vatey et du général Alexandre Dumas.
Dans une lettre au président français François Mitterand, dont un extrait a été publié par Dieudonné Fardin, dans la réédition de son roman Province, Jean Brierre a clairement justifié, dans un poème, ses liens de sang avec les Dumas. Écoutez ce qu’il eut à dire à François Mitterrand :
Je vous salue Monsieur,
D’un cœur rebelle et éternel.
Mon nom de consonance française
Fut nationalisé il y a des siècles
Dans le sang et les larmes
Car étampé sur la poitrine de mon aïeul
Dans le sud de l’ile de Saint-Domingue…
Si je signe aujourd’hui du nom de l’ancien maitre,
C’est que sentant encore la brûlure du fer
Sur ma poitrine
Je sais que l’étampe abjecte
S’est convertie en héritage de douleur
Dans la liberté conquise sans l’aide de personne.
Texte extrait de « In sculpture de proue »
Selon les précisions apportées par le site-web « MesAyeux.com », l’aïeul des Brière serait, curieusement, un certain Jean Brière, fils de Charles Brière et de Marie Lepec, né en France, à Saint-André de Clarbec, Basse-Normandie, vers 1642.
Au cours de mes recherches, je me suis rendu compte qu’il y a eu un chassé-croisé dans l’histoire des Dumas et des Brierre. Les Brierre ont davantage fertilisé en Haiti que les Dumas, pour la simple et bonne raison que les Dumas furent uniquement des filles dont les enfants héritèrent tous du nom de leur père. Ceci dit, si Thomas Alexandre Davy de la Pailleterie ne s’était pas brouillé avec son père pour adopter le nom de sa mère, Césette Dumas, il n’y aurait pas eu d’écrivains portant ce nom en France; ils seraient tous deux des Lapailleterie, les célèbres auteurs des Trois-Mousquetaires, du Comte de Monte Cristo, de la Dame aux Camélias, de la Reine Margot, pour ne citer que ces grands titres qui ont fait fortune jusqu'à Hollywood en Amérique du Nord.
Quand l’écrivain Anatole France, Membre de l’académie Française, fit valoir son point de vue que le général Alexandre Dumas entrât au Panthéon français où sont abrités les tombeaux des grands hommes de la France, il ne prenait pas partie seulement pour un valeureux soldat, devenu général, qui risqua soixante fois sa vie pour la France, dans des guerres révolutionnaires et de prestige international, mais il voulut aussi faire ressortir la grandeur d’âme d’un homme, qui préféra être roturier que noble, en rejetant le nom de son père, un Marquis de France, pour adopter celui de sa mère, une négresse de la colonie de Saint-Domingue. Et pour marquer son refus d’aller combattre ses frères en colonie, à la demande de Napoléon Bonaparte, au cours de l’expédition de 1802, forte 23.000 hommes dirigés par Leclerc, il brisa son sabre en Vendée, après une confrontation réussie aux dépens d’une offensive ennemie. Le premier Consul ne lui pardonnera jamais cette effronterie. Ce haut fait d’humanité et de sentiment d’appartenance est confirmé par de nombreux historiens, dont Tom Reiss et Catherine Delors, cités précédemment. « Le plus grand des Dumas, écrivit l’Académicien Anatole France, c’est le fils de la négresse, qui risqua soixante fois sa vie pour la France, et qui est mort pauvre… ».
Comment expliquez-vous, Mesdames, Messieurs, cette pauvreté relatée par Anatole France? Je reviendrai là-dessus bientôt, car je dois épuiser la question du chassé-croisé entre les noms de famille Dumas et Brierre, dont j’ai parlé tantôt.
En effet, grâce à l’amour maternel dont a fait preuve Thomas Alexandre Davy de la Pailleterie, la littérature française est dotée de deux grands écrivains qui portent le nom d’Alexandre Dumas.
Le grand Victor Hugo, dans une lettre adressée à l’écrivain Alexandre Dumas-père, en 1872, document conservé au Musée Alexandre Dumas de Villers-Cotterêts, s’exprima ainsi : « Aucune popularité en ce siècle n’a dépassé celle d’Alexandre Dumas; ses succès sont mieux que des succès; ce sont des triomphes; ils ont l’éclat de la fanfare. Le nom d’Alexandre Dumas est plus que français, il est européen; il est plus qu’européen, il est universel ». (Réf : Dépliant publié par l’Association des Trois Dumas et pour la sauvegarde du Vieux-Villers, mars 2012).
Revenant sur le chassé-croisé dont j’ai parlé tantôt, entre les deux noms de famille, Dumas et Brierre, je veux dire par là, que celui d’origine haïtienne a fertilisé en France, et celui d’origine française a peuplé en Haiti. Voyons ce qui s’est passé en fait : Les Dumas furent de grands géniteurs, en dépit des discriminations dont ils furent l’objet en France. Selon les données que j’ai recueillies sur le site-web « genealogie.com », le patronyme « Dumas » est désigné comme un nom de famille du Midi de la France et du Centre. Le nombre de naissances issues de ce nom s’élèvent, de 1891 à 1990, à un total de 34517 descendants répartis dans 101 Départements. En comptant les variantes, précise la source, ce nom est classé parmi les plus portés en France. En termes de Départements et de communes, il est répandu en Dordogne, Corrèze, Allier, Hérault, Puy-de-Dôme, Creuse, Paris, Montpellier, Corgnac-sur-l’Isle et Échandelys.
En remontant à 1831, on retrouve Marie-Alexandrine, fille de l’écrivain Alexandre Dumas-père, puis en 1886, Vélerie Daskalova Dumas, moitié Française, moitié Bulgare. Parmi les alliés se retrouvent : Pierre Pétel, Belle Krelsamer, Élizabeth Cordier, Henri Bauer, Catherine Labay et bien d’autres à l’heure actuelle. Au nombre des épouses et concubines, qui ont permis aux Dumas de multiplier leur nom de famille, figure l’actrice Ida Ferrier, née Marguerite Joséphine Ferrand.
Ainsi, porté par des Blancs depuis plusieurs générations, le nom de « Dumas » s’est progressivement éloigné de sa souche nègre, et n’aurait plus rien à voir avec la négresse Marie Césette, voire avec la culture yoruba du Dahomey ancestral.
S’agissant du nom « Brierre », d’origine française, remontant à un premier Jean Brière, né à Saint-André de Clarbec, en 1642, il continue à se reproduire en Haiti. Leur arrière-arrière grand-mère eut pour nom Jeanne Grandin, fille de Jeanne Rouyneau. Ce Jean Brière du XVIIe siècle exerça à Paris les métiers de domestique, de boulanger et de cultivateur. Par un autre chassé-croisé (cette fois-ci, plutôt spirituel), je me suis dit, si le boulanger Jean Brière du XVIIe siècle pétrissait de la pâte pour la nourriture du corps, le poète Jean Brierre d’Haiti avait davantage de pain sur la planche, car par le moyen de la poésie, il nourrissait non seulement l’âme haïtienne, mais il fit œuvre de nationalisme, et c’est ce qui justifie que Jacques Stephen Alexis pût porter sur lui le jugement qui suit : « Jean Brierre a droit à notre gratitude et sa conduite au cours du mouvement anti-impérialiste de 1921-1930, sa lutte contre l’occupation, son amitié pour Jacques Roumain et sa noble conduite sont des faits rares…Jean Brierre n’est pas seulement un grand poète, mais un homme ».
Tout ce génie, dont les Dumas et Jean Brierre ont fait preuve, vient en droite ligne du Dahomey, en passant par la colonie de Saint-Domingue.
Mesdames, Messieurs, je vous disais que je reviendrai sur le mot d’Anatole France qui, en faisant l’apologie du général Dumas, déclara que ce dernier mourut pauvre. En effet, le général Alexandre Dumas, qui décéda à Villers-Cotterêts à l’âge de 43 ans, d’un cancer de l’estomac, par suite de son empoisonnement dans une prison d’Italie, a effectivement sacrifié sa vie pour la France, en s’illustrant dans des guerres qui ont fait de ce pays d’Europe ce qu’il est aujourd’hui : la guerre de la première coalition Autriche-Allemagne contre la France; la guerre de Vendée; la campagne d’Italie; le siège de Nantua; la campagne d’Égypte et de Syrie, en particulier la bataille des Pyramides; ses exploits à la tête de l’armée des Pyrénées, celle des Alpes, de la cavalerie d’Orient, et j’en passe.
Au Caire, en Égypte, il prit ses distances avec Napoléon Bonaparte, pour n’avoir pas partagé son attitude vis-à-vis des soldats. (Il faut dire aussi qu’il refusa de faire des crimes de guerre; c’est ce qui justifie le fait qu’il brisât son sabre en Vendée, en plus d’avoir refusé catégoriquement de prendre les armes contre Saint-Domingue). En Égypte, Napoléon s’adressa ainsi à lui :
- Ainsi, Dumas, vous faites deux parts dans votre esprit : vous mettez la France d’un côté et moi de l’autre. Vous croyez que je sépare mes intérêts des siens, ma fortune de la sienne?...
- Je crois, reprit Dumas, que les intérêts de la France doivent passer avant ceux d’un homme, si grand que soit cet homme. Je crois que la fortune d’une nation ne doit pas être soumise à celle d’un individu.
- Ainsi, rétorqua Napoléon, vous êtes prêt à vous séparer de moi?
- Oui, répondit-il, dès que je croirai que vous vous séparerez de la France.
- Vous avez tort, Dumas, dit froidement Bonaparte.
- E t Dumas de répondre, « C’est possible, mais je n’admets pas les dictatures, pas plus celle de Sylla que celle de César ».
(Réf : Alexandre Dumas, Mes Mémoires, Tome 1, Edition Michel Lévy, Paris, 1863).
C’est cet homme-là, qui fut appelé « Monsieur de l’Humanité », à cause, bien sûr, de son humanisme, et que Napoléon lui-même, appela « l’Horatius Coclès », pour son intrépidité, en référence à ce légendaire héros romain, qui défendit seul l’entrée du pont Sublicius, à Rome, contre l’armée du roi étrusque Porsenna. C’est ce valeureux général français qui fut mis à la retraite par Napoléon Bonaparte et reformé au moment de l’épuration de l’armée française des éléments nègres qu’elle contenait.
Le général Dumas n’eut pas droit aux 28500 francs d’arriérés de solde pour les années de captivité en Italie, ni de sa part de 500,000 francs d’indemnité que le gouvernement napolitain avait versé en faveur des prisonniers retenus.
À sa mort, le futur écrivain Alexandre Dumas-père, son fils ainé, n’avait que quatre ans. Sa mère, Marie-Louise Labouret, la veuve du général, n’avait eu droit à aucun secours, comme c’était le cas pour d’autres femmes d’anciens combattants. À un ami de Dumas qui intervint en sa faveur auprès de Napoléon, ce dernier eut à lui dire : « Je vous défends de me parler de cet homme-là ». Ainsi, le nom du général Dumas ne sera pas cité dans le Mémorial de Sainte-Hélène et restera ignoré de la grande majorité des historiens français.
Mesdames, Messieurs, c’est de ce Titan, d’origine haïtienne qu’il s’agit dans ce livre que je vous demande d’acquérir ce soir, tout en supportant l’édification du Musée Alexandre Dumas de Jérémie.
Pour finir, je vous rappelle la demande que j’ai faite à Dany Laferrière, le nouvel « Immortel » de l’Académie Française de poursuivre l’œuvre entreprise par Anatole France, qui voulut de tous ses vœux que le général Alexandre Dumas entrât au Panthéon national français.
Merci.
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