LE PAYS DE LA GRAND’ANSE
Par : Mérès Weche
La rivière de la Grand’ Anse
Je me coiffe aujourd’hui de mon chapeau de journaliste pour mieux porter la parole de la Grand ‘Anse, cette partie de la presqu’ile du Sud au charme naturel incomparable par rapport au reste du pays. Quoique mieux conservée que les autres Départements sur le plan environnemental, elle demeure la moins pourvue en matière d’encadrement infrastructurel. Traumatisée par des pratiques politiques exterminatrices, et longtemps traitée en parent pauvre par des gouvernements à courte vue, elle a subi, impuissante, le départ de nombre de ses ressources humaines vers la capitale haïtienne, quand ce n’est pas pour l’étranger tout court. Son particularisme naturel a souvent été attribué à son isolement par rapport au reste du pays ; gage indiscutable, dit-on, de sa préservation. Une thèse qui remet en question les nouvelles infrastructures routières destinées à la doter de voies de pénétration nécessaires à son développement.
Le pont sur la rivière de la Grand’ Anse
À mon avis, c’est quasiment raisonner par l’absurde que de refuser l’ouverture de la Grand ‘Anse au reste du pays. Soi-disant par souci de préservation de ses ressources naturelles. Partout dans le monde moderne, les villes sont reliées entre elles par des voies de communication bien entretenues, qui facilitent les échanges commerciaux, le développement du tourisme et tous genres de déplacements de nature publique et privée. La question réside plutôt dans la manière de concevoir la politique environnementale : prise en charge des valeurs culturelles authentiques, entretien des infrastructures de base, préservation des patrimoines tant physique, naturel, spirituel et socioculturel.
Concernant le patrimoine naturel proprement dit, la Grand ‘Anse a l’avantage d’offrir d’immenses possibilités de découverte et d’exploration. L’atteindre par la route, c’est à la fois entreprendre un voyage de plaisance, pour non seulement explorer une des plus belles régions du pays, mais aussi s’offrir une page médicale, en faisant provision d’air frais, et se faire une nouvelle idée du « pays-en-dehors » ; expression sans cesse galvaudée, mais qui vaut son pesant d’or. Je le proposerais même comme slogan pour faire la promotion touristique de la Grand ‘Anse.
Cette région aux paysages luxuriants se situe bel et bien en dehors du constat alarmant de la désertification du pays. Cependant, ce n’est pas en l’enfermant dans une espèce de cocon régional qu’on va la protéger de la dégradation naturelle. Divers types de pressions de consommation s’exercent déjà sur elle, par la fabrication excessive du charbon de bois, en dehors des normes environnementales. C’est en s’y rendant à visière levée, par un chemin soumis au contrôle rationnel de la circulation routière, qu’on parviendra à la protéger de ce danger de déboisement programmé.
Le « pays- en- dehors »
Même avec le percement de la route reliant Jérémie à la capitale haïtienne, la Grand ‘Anse va toujours demeurer tout un voyage, et elle doit s’enorgueillir de l’être. De par la beauté de ses paysages, ses traits culturels particuliers, elle peut contribuer valablement aux offres d’évasion et de découverte mises en train par le Ministère du Tourisme à l’échelle internationale. Si la Grand ‘Anse n’offre pas encore les infrastructures nécessaires pour un tourisme de masse, elle se prête bien au tourisme alternatif, qui en est un d’exploration et de proximité. Sur le plan strictement national, le goût d’aller prendre de l’air à quelques kilomètres de la capitale haïtienne, trop souvent engorgée, entraine la plupart du temps des escapades très coûteuses au-delà de nos frontières, alors qu’à un coût très abordable, on peut se payer un séjour agréable en Grand ‘Anse et en profiter pour découvrir le pays profond et jouir des bienfaits d’une nature agréable et saine.
Au temps des tracés dangereux, longs et lassants, les falaises de Fanmpadra paniquaient avec raison les visiteurs. En dépit de tout, nombreux furent ceux et celles qui tombaient en amour avec la Grand ‘Anse. Un jour, des amis partis avec moi pour une fin de semaine à Beaumont, en particulier Jacques Roche de regrettée mémoire, juraient par tous les saints - en cours de route - de ne plus répéter une telle aventure. Arrivés à destination, au gré des randonnées matinales entre ciel et terre, des baignades en cascades aux chûtes de Mouline, sans oublier les belles soirées au cabri boucané, sous un ciel en « tablette de roroli », ils oubliaient toutes les misères de la route et programmaient déjà dans leur tête un retour éventuel.
C’est ce même pays de la Grand ‘Anse qui fut décrit avec prodigalité par l’écrivain Alexandre Dumas-père à son ami F. Febvre en partance pour Haiti : « Un jour, que vous n’aurez rien à faire, et qu’il ne fera pas trop chaud, descendez au sud de l’ile, jusqu'à Jérémie sur le golfe de la Gonâve. C’est un véritable voyage, un véritable pèlerinage que je vous demande de faire. C’est là qu’au printemps de 1762, une petite esclave noire mettait au monde un petit mulâtre, lequel devait être un jour le général Alexandre Dumas et se constituer en deux auteurs ».
Réf : Placide David, Sur les rives du passé, Première édition, Collection du Bicentenaire, la Caravelle, Paris, 1947.
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